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Durant la dernière année, j’ai eu le privilège de participer au projet BAnQ Numérique, qui est encore en développement et qui le sera sûrement pour plusieurs années à venir. S’inscrivant dans la mouvance mondiale des grands projets de diffusion du contenu culturel et patrimonial numérique, ce projet m’a donné l’occasion de faire le tour de la planète (en mode virtuel seulement!) à la recherche non seulement des meilleurs projets du genre, mais aussi plus spécifiquement d’exemples de projets qui tiennent compte dès le départ et de manière proactive des utilisateurs et de leurs besoins.

Les utilisateurs de plus en plus au centre des préoccupations

Je ne m’attendais évidemment pas à ce que tous les projets que j’allais trouver incorporent une approche UX au cœur de leur développement. Mais ceux qui le font (et ce ne sont pas les moindres) le font d’une manière qui est vraiment impressionnante, à commencer par Gallica, projet phare de la Bibliothèque nationale de France (la BNF pour les intimes.) D’autres projets majeurs, comme ceux d’Europeana, de Trove (Australie), de DigitalNZ (Nouvelle-Zélande) et de la National Archives (Grande-Bretagne) ont chacun au moins une petite équipe UX qui font de la recherche en amont, puis conçoivent, testent et mesurent leurs solutions en continu. Pour eux, les utilisateurs sont tout aussi importants que les précieux contenus qu’ils diffusent.

L’exemple Gallica

Vers 2011, Gallica a démarré son vaste projet de refonte par une ambitieuse étude pour mieux comprendre les utilisateurs et leurs usages du portail qui est en ligne depuis 1997. Les objectifs étaient nombreux (je cite):

  • Effectuer un état des lieux concernant la demande, le profil des visiteurs actuels du site et des différentes cibles.
  • Établir une segmentation des Gallicanautes, rénovée et comparée aux résultats des études précédentes.
  • Tester auprès des utilisateurs et non utilisateurs l’ergonomie et la navigabilité du site en fonction de scénarios diversifiés d’usages types: recherche, découverte, lecture… : visibilité des contenus, arborescence fonctionnelle, principe de navigation.
  • Explorer et comprendre les habitudes d’utilisation du site par les différentes cibles et les principales attentes à son égard.
  • Hiérarchiser les attentes et déterminer des scénarios d’évolution de l’offre pour saisir les opportunités de croissance.
  • Établir des préconisations par segments sur la valorisation des contenus, les développements fonctionnels à mettre en place.

Après avoir questionné près de 4 000 personnes à travers le monde, les chercheurs ont pu procéder à une très intéressante segmentation des utilisateurs qui pourraient dorénavant guider les concepteurs de Gallica.

La segmentation des utilisateurs de Gallica

La segmentation des utilisateurs de Gallica (adapté du rapport final)

Gallica et les autres partagent leurs expériences

La BnF s’est également associée à des chercheurs universitaires pour fonder le Bibli‑Lab, laboratoire d’étude des usages du patrimoine numérique des bibliothèques. Leur mandat est plus large que le numérique, mais le tronc commun est le même, i.e. observer et écouter les utilisateurs pour ensuite mieux concevoir des services physiques ou numériques liés au patrimoine culturel. Les études de ce collectif sont disponibles dans un portail ouvert à tous (portail BnF de HAL.) Ce partage élargi des connaissances à propos des utilisateurs et des usages devrait inspirer nos propres institutions à faire de même, car elles sont souvent applicables à l’ensemble des projets de patrimoine culturel numérique.

Gallica en chiffres (mars 2016)

Gallica en chiffres (mars 2016)

À la fin de 2015, Gallica a dévoilé son nouveau portail totalement repensé. On imagine aisément que tous les efforts faits pour intégrer une approche utilisateur durant les années précédentes (en fait, depuis 2010) ont porté fruit. Un des aspects très importants du processus de renouvellement a été la création de Gallica Labs, qui était en fait une version bêta du nouveau portail en ligne pendant plusieurs mois, parallèlement à la version courante. Ils ont pu ainsi récolter des centaines de commentaires et de très précieuses données d’utilisation avant de lancer officiellement la nouvelle version.

D’autres projets inspirants

Gallica n’est pas le seul projet à profiter d’une approche UX. Les Archives nationales de Grande Bretagne ont entrepris une refonte complète de leur portail web en 2013. Dès le départ, ils ont intégré une approche UX combinant la recherche auprès des utilisateurs, l’usage de versions bêta et l’évaluation en continu. Ils ont aussi communiqué ouvertement les étapes du projet via un blogue (voir les articles spécifiques au projet de refonte.)

Le projet Europeana s’est également questionné à propos de ses utilisateurs dans le cadre de son plan stratégique 2015-2020. Sans effectuer de grandes recherches auprès des utilisateurs comme l’avait fait Gallica, ils ont quand même pu créer une segmentation de leur public qui devrait les assister dans l’amélioration de leur portail web, dont l’utilisation semblait un peu à la traîne en regard des importantes ressources dont ils semblent disposer. En date de mars 2016, leur portail renouvelé était en phase bêta.

La segmentation des utilisateurs du portail Europeana

La segmentation des utilisateurs du portail Europeana (tiré du plan stratégique 2015-2020)

Il est intéressant de constater que pour tous les projets mentionnés, la réflexion a démarré avec un questionnement sur les utilisateurs (actuels ou futurs) et sur les usages qui motivent ces mêmes utilisateurs non seulement à consulter le patrimoine numérisé, mais également à devenir acteurs eux-même de la rediffusion et de la ré-utilisation de ce patrimoine. On se questionne également sur les compétences qui distinguent les divers segments d’utilisateurs.

Après avoir mis en ligne plusieurs générations de sites web « refondus » avec une approche plutôt « technologiste » ou centrée sur les documents et les outils (les fameux « projets innovants »), ces institutions prennent maintenant conscience que toute cette masse d’information numérique ne saurait faire de sens que si on se penche sur la grande question suivante: à qui à et quoi vont servir tous ces documents et tous ces outils?

Ces mêmes institutions réalisent qu’ils attirent souvent le même public restreint et que la fréquentation de leurs services stagne ou est inférieure aux attentes. Le défi devient alors de trouver des solutions pour élargir son public. Mais comment y arriver si on ne le connaît pas (ou pire, si on feint de le connaître)? Voilà un des grands enjeux des projets qui verront le jour dans les prochaines années.

Et le Québec dans tout ça?

Sur une note un peu plus près de chez nous au Québec, j’espère de tout cœur que les nombreux projets qui naîtront suite à la mise en place du Plan culturel numérique du Québec vont adopter, même à petite échelle, cette approche et se poser ces mêmes questions. Tâchons donc de profiter de toutes ces leçons apprises ailleurs, peu importe leur pays d’origine ou leur langue. Les informations sont là, accessibles à tous grâce aux généreuses politiques d’ouverture de ces institutions culturelles. Il serait inexcusable de les ignorer.