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Même en 2009, il y a encore une méconnaissance importante des bienfaits respectifs des groupes de discussion (communément appelés focus groups), des tests d’utilisabilité et du tri de cartes (également appelé classement de cartes, ou son équivalent en anglais, card sorting) comme méthodes de développement et d’évaluation de sites Web. Il faut d’abord préciser que chacune des ces activités devraient être réalisées à des moments bien précis du développement, et qu’elles ne mesurent pas toutes l’utilisabilité. Il faut également comprendre qu’elles sont indépendantes l’une de l’autre et qu’elles peuvent être utilisées ensemble dans une séquence bien déterminée ou séparément au besoin.

Gare aux interprétations hâtives

Les groupes de discussion utilisent souvent des maquettes ou des prototypes très préliminaires comme objet d’étude. Cette méthode qualitative génère habituellement des opinions, qui peuvent être quelques fois très différentes des actions mesurables. Par exemple, un participant peut exprimer l’opinion qu’il aime la page qu’on lui présente et la trouverait facile à utiliser. Cela peut être vrai ou faux, mais il est impossible de le savoir vraiment, peu importe la taille du groupe. Cette méthode ne peut pas vraiment mesurer l’utilisabilité d’un site ou de toute autre produit interactif.

Les tests d’utilisabilité servent justement à mesurer objectivement la facilité ou la difficulté d’utilisation. Ils doivent être effectués à l’aide de prototypes les plus près de la réalité possible. Il est dangereux de demander à un participant de « faire semblant » d’utiliser un site Web alors que ce qu’on lui présente ressemble à des schémas de pages (wireframes) ou est un prototype à peine fonctionnel. Il est possible d’utiliser des prototypes en papier ou des schémas de page, mais à condition de tester des éléments de contenu précis et non pas une réelle suite d’interaction.

Lors de ces tests, on voit souvent des cas où un participant exprime une opinion positive à propos d’une page ou d’une fonction, mais après avoir essayé de l’utiliser, il devient évident qu’il rencontre des difficultés inattendues. Même après avoir vécu des difficultés importantes, certains participants répondront que leur expérience a été positive et facile quand on leur redemande leur opinion. Comment différencier tous ces résultats et retenir l’essentiel? C’est là qu’un spécialiste entre en jeu. Il peut distinguer entre les opinions, les faits et les inévitables « effets de tests », qui poussent souvent les participants à être un peu trop gentils et optimistes. Ils se sentent observés et veulent souvent bien paraitre, ce qui est parfaitement humain et normal. La prudence est de mise lors de la phase d’interprétation, qui est déterminante pour la suite. C’est pourquoi on recommande d’avoir au moins deux personnes présentes qui observent et prennent des notes lors des tests d’utilisabilité; il est alors plus facile d’en arriver à un consensus sur les résultats.

Les facteurs esthétiques ont leur importance

Les tests permettent donc de mesurer la facilité d’utilisation et de s’assurer qu’une opinion soit validée par des actions mesurables. Par contre, un groupe de discussion est tout indiqué en début de projet pour mesurer des perceptions face à un nouveau produit ou face à une entreprise ou organisme. Par exemple, on pourrait y présenter un site existant et demander l’opinion des participants sur leur perception (est-ce trop simpliste? élitiste? inintéressant?, etc.) dans le but de corriger le tir pour une version améliorée. Les groupes sont également intéressants pour évaluer la part esthétique d’un site, qui est aussi très importante. Un des gourous de l’utilisabilité, Don Norman, a beaucoup écrit sur l’importance de l’esthétique et son influence sur la perception. Les utilisateurs qui trouvent un site beau et bien fait auront tendance à être mieux disposés envers ce site. Ils lui accorderont plus de crédibilité et feront probablement un effort additionnel pour l’utiliser à son plein potentiel. S’ils rencontrent une difficulté dans leur parcours, ils seront plus enclins à persévérer et à mener à bien une tâche, sans l’abandonner en cours de route. Par contre, il est très rare d’avoir une maquette très complète incluant tout le design graphique en début de projet, et c’est souvent à cette étape qu’on fait appel aux groupes de discussion. Selon le budget disponible, il faut choisir la méthode qui nous apportera les meilleures données au bon moment.

Le tri de cartes est une méthode quantitative

Le tri de cartes est une méthodologie qui est bel et bien quantitative si elle est bien exécutée. Elle repose entièrement sur l’interprétation que font les participants des éléments de contenu qu’on leur demande d’organiser en groupes et sous-groupes. Contrairement aux groupes et au tests d’utilisabilité, il ne s’agit pas d’une méthode d’évaluation (il y a des exceptions toutefois), mais plutôt d’un outil de conception qui devrait tomber dans la cour des architectes de l’information, et non pas celle des ergonomes. L’interprétation des résultats de tri de cartes doit aussi être sujette à caution. Si un ou plusieurs des participants ne connaissent pas la signification exacte de certains éléments, ou qu’ils les interprètent d’une façon erronée, ils risquent de placer ces éléments dans une catégorie qui ne fera pas de sens pour personne. Par exemple, lors d’un tri de carte que nous avions faits pour le site des Archives de Radio-Canada, certains élèves de secondaire (un groupe cible prioritaire) avaient classé « Crise d’octobre » sous la catégorie « Science et technologie ». À quoi pensaient-ils en faisant ce choix? Impossible de le savoir, car cette méthodologie ne prévoit généralement pas des entrevues post-test, et il faut donc se fier à la tendance générale et non pas à des cas particuliers. D’où l’importance d’effectuer correctement l’échantillonnage et d’avoir au moins 30 sujets par groupe homogène (par exemple, 30 étudiants du même niveau scolaire) pour obtenir des résultats statistiquement significatifs.

Pour en savoir plus sur le tri de cartes, je vous conseille cet article de Ergolab.