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J’ai pris connaissance du rapport Gautrin avec grand intérêt ce matin. Je tiens tout d’abord à souligner la qualité exceptionnelle du travail accompli. C’est de classe mondiale. J’ai suivi les discussions sur leur site l’automne dernier. Je m’y suis inscrit, mais je n’ai malheureusement pas émis d’idées ou de commentaires (mis à part un ou deux tweets). Je ne peux donc pas me plaindre aujourd’hui de ne pas avoir été écouté. Par contre, dans la même veine collaborative, je me sens totalement en droit de commenter à titre entièrement personnel ce qui est sorti de ce processus.

Suite à la lecture de ce billet, certains pourraient dire que je suis passé à côté des vrais enjeux du rapport. C’est peut-être vrai, mais en me fiant sur mon expérience et après avoir participé activement à un nombre respectable de projets de plusieurs ministères et organismes gouvernementaux au fil des ans, je peux difficilement croire que les recommandations de ce rapport, quoique très valables, puissent vraiment régler la question centrale et pressante : comment améliorer les services aux citoyens?

Je ne crois pas qu’on puisse actuellement (je dis bien actuellement) améliorer les services gouvernementaux en misant sur les médias sociaux, en mettant en ligne des « dashboards » de progression de projets informatiques, ou des milliers de jeux de données, soient-ils en format ouvert ou non. Je ne crois pas non plus qu’on améliore les services en mettant en ligne un portail citoyen sur la façon de gérer l’État québécois. Je me répète, je trouve toutes ces idées valables et a priori séduisantes, mais dans l’état actuel des choses, j’ai bien peur qu’on ne retombe encore une fois dans le même vieux panneau qui consiste à se concentrer d’abord sur les moyens, plutôt que sur une base solide de compréhension des besoins.

Alors, comment améliorer les services et identifier ces besoins? (je vais avoir l’air d’un vieux mononc’ plate et grincheux, mais allons-y quand même :-)

  • En allant dialoguer sur le terrain avec des utilisateurs et en les observant effectuer des tâches bien réelles à l’aide des services en ligne existants. Notez bien,  pas avec des sondages à distance, mais du vrai face à face en personne.
  • En cumulant des données de plusieurs outils de mesure dans le but d’identifier les services les plus usuels qui répondront aux demandes les plus courantes, souvent peu nombreuses. Et en répétant ce processus sur une base régulière.
  • En mesurant le taux de succès de l’accomplissement des tâches les plus courantes dans les services en ligne existants, ce qui nécessite entre autres une bonne stratégie de mesure (i.e analytique web). Et en corrigeant rapidement ce qui cloche.
  • En modifiant l’approche actuelle de développement des services, qui se passe plus souvent qu’autrement en vase clos à l’intérieur des ministères, en particulier dans les bureaux des directions informatiques.
  • En arrêtant de développer une longue liste d’épicerie indifférenciée de services, et en se concentrant plutôt à créer un nombre minimal de services de qualité qui répondront à 80% ou plus du volume.
  • En créant patiemment une base de données des questions les plus usuelles des utilisateurs-citoyens, celles qui reviennent toujours dans tous les ministères,  et en fournissant des réponses à jour à ces questions d’une façon simple via des outils et des canaux appropriés au contexte (que ce soit par le Web classique, mobile ou même par réponse vocale interactive, why not?)

Cette liste pourrait être plus longue, mais vous comprenez l’idée. Cette approche, communément appelée « approche utilisateur », est à la portée de tous les ministères et organismes. Mais souvent, l’attrait de la nouveauté, les pratiques traditionnelles et le manque de leadership font en sorte qu’on préfère développer du nouveau plutôt que d’améliorer l’actuel. C’est un réflexe profondément humain, que je partage aussi, mais qui doit être contrôlé et mis à contribution à la bonne place et au bon moment (sinon il n’y aurait jamais d’innovation). À mon humble avis, le vrai chantier auquel on devrait s’attarder est celui-là.

D’ailleurs, certains gouvernements l’ont bien compris. Je suis d’ailleurs déçu de voir que le rapport Gautrin ne fait nulle mention du projet DirectGov de la Grande-Bretagne et de la beta GOV.UK qui en est sorti. Je considère ce projet comme étant le plus porteur et le plus excitant en matière d’amélioration des services aux citoyens depuis longtemps. Il est certain qu’il ne porte pas l’aura du Web 2.0 ou des médias sociaux, mais il se concentre néanmoins sur un enjeu pressant, qui est de faciliter l’accès, la compréhension et l’utilisation des services gouvernementaux au plus grand nombre, dans un souci très fort d’inclusion.

Je termine en pointant vers une page qui énumère les principes de conception des services en ligne du gouvernement britannique, et qui résument parfaitement bien ce que j’aurais entre autres aimé lire dans le rapport Gautrin. Faut croire que ce sera pour la prochaine consultation. Et cette fois-là, je tenterai d’y participer avant la sortie du rapport.

https://www.gov.uk/designprinciples

Ajouté le 14 juin 2012: Je suis tombé par hasard sur cet article du Devoir que Michel Dumais a écrit il y a exactement huit ans à propos du premier rapport Gautrin, sorti en 2004.

Technologie: Gouvernement en ligne, Henri-François au pays des merveilles

Si ce n’était pas si triste, on pourrait en rire. On y lit entre autre ceci: « L’information gouvernementale ne sera plus organisée en fonction des missions des ministères, mais plutôt en fonction du cycle de vie des citoyens et des entreprises. » Mis à part quelques services organisés de cette façon et qui ont été mis en ligne bien avant 2004 (je le sais puisque j’ai participé très activement à leur conception), ne cherchez pas de résultats dans ce sens, puisque rien n’a été fait. Le plus ironique, c’est que tout comme dans le rapport Gautrin version 2012, le rapport de 2004 recommandait que ce vaste programme soit sous la gouverne directe du Premier ministre, le même qu’on a encore en 2012. Plus ça change…