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Ce texte est une réponse-réflexion (un peu en retard!) sur le très bon billet de Sandrine Prom Tep sur le blogue d’Orénoque.

Cette phrase de l’article m’a particulièrement interpellé: « À quand les experts conseils en ergonomie des interfaces, vont mettre leur culotte et accepter d’exiger de disposer de données usager – pour ne serait-ce que 30% seulement de leurs projets? »

En tant que vétéran du web, je comprend bien ton message. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai poliment refusé d’«optimiser» la navigation d’un extranet à moins d’avoir un minimum d’informations à propos de ses utilisateurs et des tâches qu’ils doivent faire, et mon client était d’accord! J’ai toujours pensé que l’utilisabilité en vase clos, basée sur des «règles», ne peut pas vraiment fonctionner dans le monde du web. Ceux qui me connaissent savent bien que je parle d’ergonomie, d’utilisabilité et même d’expérience utilisateur depuis l’époque pré-web. Peut-être est-ce seulement une question de terminologie, mais permet-moi de prendre un risque en suggérant que le concept d’utilisabilité est peut-être devenu un obstacle, et non la solution tant espérée, et qu’il est peut-être temps de l’optimiser.

Quand Nathalie Berger et moi avons fondé Idéactif à la toute fin de 1999, l’utilisabilité était réellement une fin en soi. Les clients venaient nous voir pour rendre leur sites web utilisables, point. Le besoin était là, car plus souvent qu’autrement, les sites étaient souvent quasi-incompréhensibles, voire inutilisables. On ne parlait pas encore de monétisation, de conversion, de fidélisation ni même de qualité de l’expérience utilisateur. On visait le degré zéro : est-ce que l’utilisateur sait à quoi sert ce site et est-il capable de réaliser les tâches de base? Souvent, hélas, il n’y arrivait même pas. Le contexte était différent, les internautes comme on les appelait, découvraient le médium. Il n’y avait pas encore de conventions, de modèles stables, ni même vraiment de bonnes pratiques à part celles qui étaient empruntées à l’ergonomie cognitive classique, qui, elle, n’avait jamais fait face au joyeux bordel qu’allait devenir le web quelques années plus tard.

Avance rapide en 2011. Le domaine de l’utilisabilité existe certes encore aujourd’hui, mais je crois qu’il est moins applicable à ce qu’on voit comme développement accéléré du web depuis les dernières années, alors que l’expérience en ligne a basculé à la fois vers les médias sociaux et les sites de commerce. Il existe certes encore plein de sites web « classiques », avec des menus de navigation, des sections, des « pages », etc. Mais la grande majorité des revenus générés par Internet ne  passe plus par ces sites (et c’est sans parler du déferlement iPhone/iPad/Android, etc.). On me dira peut-être que les sites de commerce électronique utilisent ce modèle de menus et de pages, et que l’utilisabilité y joue un rôle primordial. C’est vrai, mais contrairement à nos débuts, il existe maintenant des conventions assez rigides quant aux meilleures pratiques pour les sites transactionnels qui respectent assez bien les critères connus en matière d’ergonomie cognitive.  J’irais même plus loin : Facebook, qui est une construction un peu échevelée, échafaudée au fil des ans sans grande planification ou études auprès des utilisateurs, est devenu un outil de la vie quotidiennes pour près de 10% des habitants de la planète (ce n’est pas rien). Pourtant, si on avait à évaluer ce site avec des critères ergonomiques, je doute qu’il passe le test avec brio.

Dans un blogue récent, j’affirme pourtant que l’utilisateur est de plus en plus au centre du travail de conception web et que jamais avons-nous eu accès à autant d’information sur leur comportement et leurs sentiments. Quel site, même le plus petit, n’a-t-il pas un configuration minimale de Google Analytics? Les outils de sondage en ligne (même si ils sont souvent mal utilisés) sont accessibles à petit prix, voire même gratuitement. Les utilisateurs, de plus en plus créateurs de contenu, n’hésitent pas à critiquer et contourner le mauvais design Web (et à encenser ce qu’ils considèrent comme réussi). Même les outils de tests utilisateur à distance sont performants et relativement peu coûteux. Des logiciels comme Axure permettent de créer des prototypes qu’on peut tester auprès d’un petit échantillon de personnes en un temps record. Il y a plein d’autres exemples de données, directes ou indirectes ( ce que j’appelle l’écoute active et l’écoute passive) sur le comportement qui nous aide à faire de meilleures décisions de design. Il suffit de se donner la peine de les identifier et de les harnacher. Je ne dis pas que c’est facile, mais ça requiert une approche très différente de celle de l’ergonomie classique, basée sur des méthodes de recherche et de cueillette de données plus contrôlées, qui requièrent des constructions théoriques qui tentent de recréer un contexte d’utilisation naturel. Je sais que les méthodes ont grandement évolué et qu’il est plus facile qu’avant de tester presque in vivo ou in situ, mais ça demeure quand même des expériences construites de toutes pièces.

Je crois qu’il faut proposer à nos clients non pas nécessairement de créer de toute pièce des activités de captation des données utilisateur, mais plutôt de se brancher sur le signal ambiant (appelons ça le murmure social si on veut) et en retirer des informations qui nous permettront d’atteindre des objectifs beaucoup plus ambitieux qu’auparavant. Il faut collaborer étroitement avec les spécialistes de l’analytique web, avec les spécialistes du référencement, les analystes d’affaires, etc. Je suis d’accord avec toi que ça va quand même prendre des budgets et du temps, mais je trouve cette proposition plus facile à vendre et plus excitante à réaliser. De plus, on aura peut-être la chance de mettre en place des outils dont la pérennité sera peut-être mieux assurée que les outils de mesures ponctuels qu’on propose encore trop aujourd’hui. La recherche utilisateur doit se faire en continu, coûte que coûte, et les méthodes qu’on utilise pour y arriver doivent s’adapter à ce fait.